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     D’entrée de jeu, nous sommes tentés de dire que la Bataille de Vertières serait la finalité de la révolution d’Ayiti. C’est, à notre avis, trop vite dit puisque, le 18 novembre 1803 ne saurait être une finalité en soi, plutôt un nouveau départ pour un peuple bafoué, meurtri, trahi par un système qui n’avait d’autre souci que de nuire.

Un nouveau départ, dans la mesure où cet évènement représente un ressort pouvant nous projeter vers l’avenir. Comme l’historien Edner Brutus l’a fait remarquer à travers sa fameuse phrase riche de sens : “Parfois, vivre est impossible, si pour vivre on n’est pas disposé à mourir”, les esclaves de Saint-Domingue se voyaient trouver entre la mort et la mort. Une situation  dans laquelle  la passivité ou la lutte débouchera tôt ou tard sur une mort certaine. Que faire ?

 

  C’est une question fondamentale puisqu’ils étaient sous l’oppression d’un pays ayant à sa disposition la plus grande armée de l’époque : la France. Qui plus est, la méthode utilisée était d’autant plus efficace à savoir : l’inégalité de traitement (diviser pour régner). A notre avis, c’était la meilleure formule pour détenir captif toute une nation. Comment ça marche ?

Le procédé est simple : dans la colonie de Saint-Domingue, les colons répartissent les esclaves en classes : les nègres, les créoles, les mulâtres et les affranchis… A partir de là, chaque classe avait le souci de lutter soit pour progresser (passer au niveau supérieur) soit pour ne pas régresser (reléguer au niveau inférieur). Un créole comme étant né dans la colonie se voyait supérieur d’un nègre venu d’Afrique. Cependant, ce qui est très sûr, le nègre, comme n’étant pas encore dompté, a du mal à accepter le système esclavagiste. Par contre, le créole, étant né dans le système, le considère comme normal. Quel est, en ce sens, l’évènement fondateur d’un tel mouvement, d’une telle résistance, d’un tel exploit ? Quelle serait la classe porteuse d’une telle idée ?

 

  Ces interrogations sont le cœur même de notre réflexion. Nous dirions que l’une des causes de la révolution d’Ayiti serait la dispersion des troupes françaises : “la France se combattant elle-même, les classes sociales étant en lutte, les opinions changent et la puissance de la France sur la colonie a diminué. Les forces françaises, étaient occupées ailleurs, cette étincelle a provoqué un remous parmi les affranchis, parce que les affranchis étaient ceux qui pouvaient comprendre le mieux ce qui se passait dans la métropole à cette époque. C’était en majorité des mulâtres, des fils de blancs et certains avaient fait leurs études en France. Ils savaient ce qui se passait en France.”

Suite au refus des colons résidant dans la colonie de Saint-Domingue, les Affranchis se trouvaient dans l’impossibilité de mener seuls leur lutte. Ce qui va donner une vue plus large de la Révolution de Saint-Domingue. En outre, la notion de Révolution des Esclave ne saurait aucunement être une copie conforme de la Révolution française bien qu’elle ait été une d’inspiration de celle-ci. La révolution des Esclaves dépasse la révolution française en longueur, en largueur et en profondeur. Car quand un Français disait : “Liberté, Fraternité et Egalité”, ces notions ne s’appliquaient qu’à eux. De même pour les Affranchis. Il n’était pas question de s’allier aux esclaves puisque les Esclaves étaient considérés comme des animaux : des moins que rien. Est-ce à dire que la Révolution était l’idée des Affranchis puis concrétisée par les Esclaves ? Quelle serait la contribution de la jeunesse et des femmes dans celle-ci ?

 

  La jeunesse, à notre avis, avait un rôle prépondérant dans la Bataille de Vertières. Nous ne sommes pas sans savoir que l’espérance de vie dans la colonie de Saint-Domingue était de 27 ans. Roudy Stanley PENN, Président de JEUNESSE MONTANTE dit ceci : “dans les mornes comme dans les plaines, à tous les niveaux, les jeunes étaient présents. Rien ne pouvait être entrepris à leur insu qui ne soit voué à l’échec. L’apport des jeunes à tout mouvement réactionnaire et révolutionnaire était indispensable. Pourtant, on ne fait mention d’aucun jeune… du moins, les noms cités vaguement, sans précision, alors que c’était eux qui exécutaient et donnaient aussi des ordres.”

Selon certains chercheurs, la majorité de ceux et celles de l’année indigène sont nés vers les années 1770. Ceux ou celles ne faisant pas partie de cette décennie sont très peu, tels que : Jean Jacques Dessalines (1758-1806), Henry Christophe (1763-1820), Nicolas Geffrard (1761-1806).

Aux côtés de ces hommes se trouvaient des jeunes ambitieux et riches en potentialité, à savoir :

 

 Charles Bélaire, aka l’enfant terrible : âgé de 15 ans a été un pion combien important pour arriver au succès de Vertières. Son immense talent fait surtout penser à James Forten, un jeune de même pédigrée que lui, pour avoir participé à l’indépendance étatsunienne.

 

 Moyse Louverture : bien qu’il soit mort bien avant la Bataille de Vertièrs, par sa prise de position, son nom a le droit de cité. Il était considéré comme le remplaçant potentiel de Toussaint Louverture. Les colons ont vu cela, de très tôt il a été condamné à la peine capitale.

 

 Lamartinière : simple mais terrible : il a été remarquable surtout par son talent de stratège. A peine vingt ans, lors de l’incendie de la plaine du Nord, il a mis en déroute, avec 1600 hommes et femmes une armée de 14000 soldats. Tout comme Moyse, il n’a pas vu le fruit de cette bataille.

 

 Louis Gabart et Boisrond Tonnerre : ces deux jeunes ont laissé une empreinte indélébile dans diverses batailles menées par l’armée indigène. Bien que le nom de Boisrond Tonnerre reste et demeure gravé dans l’esprit de plus d’un, par contre Louis Gabart reste le jeune qui a le plus marqué le Père de l’indépendance. Lors de la Bataille de Vertières, toute la gloire allait à l’endroit de François Capois certes, mais le sens de stratège de Louis Gabart a été d’un grand secours.

A la suite cet vieil adage : “derrière chaque grand homme se cache une grande femme”, nous pouvons associer à ces jeunes gens ces jeunes filles :

 

 Sanite Bélaire : elle était respectivement la femme de Lamartinière et de Charles Bélaire. Afin d’honorer sa mémoire, le président Aristide l’a gratifiée du côté face du billet de dix gourdes.

 

 Marie-Jeanne : elle reste et demeure un symbole de terreur dans la tête des ayisyen. Quand on qualifie quelqu’un de Marie-Jeanne, cela en dit très long.

 

Gélinette Getin : elle a rendu de très grands services à l’armée indigène. Dès l’âge de 14 ans déjà, pour faire suite aux dires du politologue Mirlande H. Manigat, elle a mené des missions périlleuses sur les champs de batailles.

 

 Au regard de tout cela, nous tenons à nous demander quel serait l’état d’âme des esclaves face à une telle initiative ? Étaient-ils convaincus de leur démarche ?

 A chaque idéologie ses objectif, ses buts, son public cible. Nous, voici le public que nous nous sommes choisis : ceux qui ont entendu tant de mensonges qu’ils arrivent à croire à leur propre infériorité. Nous voulons leur dire : on vous a trompés, on nous a trompés. Vous êtes un peuple qui a prouvé plus que tout autre peuple que vous avez une dignité humaine.

 

        Nous faisons appel à tous ces termes en vue de dire : Oui, les Esclaves savaient au préalable que leur victoire était assurée. Avant de gagner une bataille purement physique, ils en ont mené et gagné une de manière psychologique. Le 18 novembre 1803 implique nécessairement le 18 mai 1803. Cette date dans l’histoire d’Ayiti nous rappelle le jour où les esclaves ont mis en pièce le drapeau français en vue de la création du leur.

En ce sens nous tenons à dire que ce ne sont pas les héros de l’Indépendance qui ont écrit l’histoire mais des historiens. Cela nous amène à dire que ce sont des hommes avec des appartenances, ce sont des gens qui sont riches ou qui veulent être riches, ce sont des gens colonisés dans leur esprit ou ce sont des colonisateurs ; bien sûr, quand on écrit une histoire on se choisit un public.

Par ailleurs, certains ont dit que, lors de la bataille, le climat, la nature, le temps étaient favorable aux Esclaves tout en écartant les vraies raisons. De même quand on veut abattre un chien on l’accuse toujours de rage ; pour montrer l’incapacité des Esclaves, on invente toute sorte de mensonges. Nous, à notre niveau, nous essayons de porter une étincelle de lumière, car mieux vaut se mettre ensemble pour allumer une petite bougie que de passer tout le temps à maudire l’obscurité.

 

Frère Jean Marie Lutget MOREAU, FIC

18 novembre 1803 : une date, une bataille, une histoire

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